Odile Favreau
Témoignage recueilli en novembre 2009
" J'ai pris mes fonctions à l'imprimerie Union, en tant que claviste en photocomposition, en novembre 1981 et y suis restée jusqu'aux derniers jours de l'imprimerie Union. L'imprimerie Union avait acquis une photocomposeuse de type Berthold. Un très bon matériel pour l'époque. Elle fonctionnait avec des cassettes typographiques interchangeables pour chaque type de caractères : times, garamond ou anglaise.
Mon responsable Michel, me préparait le travail pour la mise en page : revues de la Bibliothèque Nationale, et pour différentes galeries. J'étais la seule à connaître la photocomposition, et j'organisais mon travail et prévoyais le temps que j'y passerais. Il y avait beaucoup de confiance quant à mon travail fourni. Michel était très pointilleux sur la qualité du travail. Il m'a été demandé d'exécuter un travail en langue russe, il a fallu pour cela acquérir un surclavier sur lequel était retranscris chaque lettre en caractère russe. Ne connaissant pas la langue, je devais la reconnaître sur le document papier puis la rechercher sur le clavier. Un travail très long.
Je sortais chaque page mise en place dans le labo à côté de mon bureau, sur film. Mon chef vérifiait les caractères et relisait. Je m'occupais également de la développeuse, entretien du niveau des produits, nettoyage, etc... Je dois dire qu'il en était de même pour les autres compagnons. Si un travail devait impérativement être livré, nous étions sollicités pour rester plus tard, il fallait finir, il fallait que tout soit parfait. Cela donnait une certaine valeur à notre travail : responsabilité d'un travail de qualité à accomplir, et fierté de l'avoir accompli. Si j'emportais parfois quelques affiches, quelques revus, ce n'était certes pas avec le sentiment de voler quelque chose, mais avec celui de vouloir emporter et conserver une trace de ce travail.
Si Louis Barnier pouvait se mettre en colère, il savait reconnaître la qualité du travail fourni par ses ouvriers. Chaque année, un buffet nous était offert, pour les fêtes de fin d'année, avec une prime sur notre salaire. Le buffet était toujours dans l'atelier, sur des tréteaux recouverts de nappes en papier blanc. Il y avait du champagne "cordon rouge" et un buffet de chez Daloyau. Tous les employés étaient conviés. La dernière année du fonctionnement de l'imprimerie, Louis Barnier nous avait donné une prime à chacun d'une somme de 10.000 F, du balayeur aux responsables, chacun reçu la même prime.
L'imprimerie a été rachetée par une grosse imprimerie située rue du Faubourg Saint-Martin, près de la Gare de l'Est. Nous avons assisté au déménagement des machines offset Gare de l'Est. Puis les bull-dozers sont venus démolir les murs et toute l'imprimerie. Plusieurs personnes ont choisi de quitter Union à ce moment décisif, certains ont pris leur retraite, d'autres sont partis travailler ailleurs, les autres ont suivi Gare de l'Est.
Louis Barnier avait la larme à l'oeil à ce moment très émouvant. De nos jours, il est assez rare de se sentir reconnu dans un travail, nous sommes dans la rentabilité à tout prix souvent au détriment de la qualité et du beau."