logo du sit Union

Imprimerie Union

Serge Romoff

Installé peu de temps après la baronne d’Oettingen et Serge Férat vers 1905-1906 à Paris, Serge Romoff sera un familier de l’Imprimerie Union durant une dizaine d’années.

 Né en 1883 à Kamenetz Podolsk en Ukraine, Sergueï Matvéévitch Romov travaille dans un premier temps à Paris comme journaliste pour la revue LeDrapeau Rouge dirigée par A. Amfitéatroff. De septembre 1911 à juin 1914, il est publiciste dans l’entreprise commerciale Florens, écrit aussi quelques articles pendant la guerre dans la revue de Luc Mériga (anagramme de Maurice Liger), La Forge, s’associe ensuite vers 1917 à un pharmacien parisien pour la vente d’un médicament au radium, le radiole, puis revient dans le milieu de la presse. Un certificat du mois d’avril 1918, nous apprend en effet que Serge Romoff travaille de mars à juin 1917 au Journal militaire pour les troupes russes en France dirigé par le Comte Alexis Ignatieff. Par la suite, il occupe jusqu’au 30 mars 1918 les fonctions de secrétaire au Bureau d’information militaire russe, organisé lui aussi par Ignatieff, et rédige des articles pour L’Humanité. Il se pourrait qu’il intègre relativement tôt dans les années dix l’équipe d’Union. L’activité de Serge Romoff est manifeste surtout à partir du début des années vingt, moment où il multiplie les entreprises personnelles et collectives.

 Il organise en collaboration avec Auguste Clergé à partir du 8 avril 1921 l’exposition 47 artistes au Parnasse dans le café du Parnasse situé au 103, du boulevard Montparnasse, café mitoyen de La Rotonde qui l’absorbera en 1924. Le catalogue d’exposition imprimé chez Union nous renseigne sur leur projet : « Nous avons pris, avec mon ami Auguste Clergé, l’initiative de réunir quelques camarades pour nous installer dans un café, sans autre prétention que d’avoir une porte sur la rue. Pas même une chapelle !...Nous soumettons notre art au jugement, non seulement des initiés, mais de la foule, sans fausse dignité et sans distinction entre la femme du monde et le cocher de fiacre ». Florent Fels dans le numéro du 21 avril 1921 d’Information et René Jean dans Comoedia daté du 16 avril 1921, saluent l’idée et la réussite de cette exposition où sont réunis des artistes déjà très estimés comme Le Scouezec, Feder, Barat-Levraux, Crissay, Gallien, Larionov et Gontcharova, Othon-Friez, Lebedeff, le peintre Barthe, vieil ami d’Iliazd, le peintre géorgien Goudiachvili, Pedro Creixams ainsi que les propres œuvres de Clergé et de Romoff. Durant les deux mois qui suivent cette première exposition, Romoff participe à la revue Littérature dirigée par André Breton et Philippe Soupault, et au procès Barrès en tant que témoin à charge.

 Le 30 juin 1921 a lieu le vernissage de la deuxième exposition intitulée  Les cent du Parnasse exposent leurs œuvres au café accompagné d’un catalogue sorti également des presses de l’imprimerie. Cet imprimé raffiné, de petit format (11x15,7 cm), arbore une première de couverture d’un orange soutenu, sur laquelle s’inscrit en bleu la reproduction du café, garni de tableaux sur les murs. Très proche dans son esthétique du livre de Blaise Cendras Le Panama ou les aventures de mes sept oncles paru en 1918 aux éditions de La Sirène, ce catalogue est une somme précieuse de quarante pages composée de onze illustrations intercalées de plusieurs textes, de la liste des artistes exposés, de leurs œuvres et de leurs adresses. Romoff écrit encore la préface : « Le succès de la première exposition du Parnasse a dépassé tous nos espoirs et laisse prévoir un succès plus brillant encore pour celle de maintenant » 1.

 Une troisième exposition eut lieu à partir du 6 décembre 1921, dont nous ne connaissons seulement, tirée des archives Romoff, que la première de couverture du catalogue et ce qu’en dit Maximilien Gauthier dans le n°3 (janvier 1922) de sa revue La Chronique de l’Ours : « Au Parnasse - Les 120 artistes qui composent la Compagnie ambulante des peintres et sculpteurs (fondée le 8 avril 1921, mais dont, depuis longtemps Mr Serge Romoff nourrissait le projet) allaient procéder, le 6 décembre au vernissage de leurs œuvres exposées au Café du Parnasse. Mr Romoff me demanda quelques lignes hâtives (novembre, alors, touchait à sa fin) pour préface au catalogue ».

 En 1921, Serge Romoff débute un travail éditorial sans suite, mais plutôt ambitieux au vu de la qualité de l’unique ouvrage qui vit le jour aux Editions du Chêne vert qu’il avait fondées : Du tableau constructif, écrit par l’artiste géorgien David Kakabadzé, traduit par Romoff et imprimé par Union. Sur la quatrième de couverture on peut lire : « dirigé par Mr Romoff », et la notice « Adresser toute la correspondance à Mr Romoff, 46 Blvd Saint Jacques », c’est-à-dire à cette époque, l’adresse de l’Imprimerie Union.

Serge Romoff dirige la revue russe Oudar (Le Coup) « Chronique des lettres et des arts » à partir de février 1922 jusqu’au n°4 d’août 1924, le dernier de la collection. Le comité de rédaction se compose de Florent Fels et d’Iliazd, « chargé, quoique non officiellement, de la collecte des manuscrits et de la mise en page ». Pour Régis Gayraud : « Hormis l’actualité problématique de dada, il semble que Romoff ait voulu donner aux jeunes russes de Paris des articles de base pour leur réflexion, articles traduis du français (par Romoff) qu’ils ne pouvaient trouver ailleurs »2. Chaque numéro comporte une vingtaine d’illustrations.

Les archives de la Fondation Le Corbusier apportent des détails sur cette entreprise qui causa quelques soucis à Romoff. Le capital de départ provenait d’une partie des recettes du bal russe de mars 1922 - bal de bienfaisance dont les bénéfices servaient d’abord à venir en aide aux artistes russes habitant Paris, et pour l’envoi de colis alimentaires aux victimes de la famine en Russie. Huit mille francs furent ainsi versés le 17 juillet 1922 à Serge Romoff pour la réalisation de sept numéros d’Oudar. Au reste, Romoff avait certifié que « dans aucun cas, l’Imprimerie Union ne pourrait puiser dans ce fonds pour mes frais personnels ou des tirages autres que l’Oudar, que je pourrais lui commander ». Irritée par la lenteur des publications, seulement deux numéros en mars 1924, la Commission financière du groupe Oudar composée de Feder, Jeanneret (Le Corbusier), Louchansky, Metchianinoff et Ozenfant, adresse deux courriers le onze du même mois. L’un adressé à Union qui informe l’imprimerie de sa décision : « Veuillez considérer Mr Romoff comme n’étant plus qualifier pour vous commander aucun travail au compte de Oudar », et l’autre à Romoff, lui annonçant le retrait de son mandat, au prétexte de son « inactivité absolue ». L’affaire se prolonge quatre mois durant lesquels le Comité demande à Romoff la restitution de la somme qui lui avait été confiée, tandis que Romoff manifeste pour sa part une parfaite incompréhension devant l’animosité de ses collègues. Au cours de ces quatre mois, deux autres numéros verront toutefois le jour.

Bien que nous sachions que Romoff travaille jusque vers la fin des années vingt chez Union, les preuves écrites manquent, et la dernière que nous possédions est un billet du 4 juin 1924 à Ozenfant : «  Mon cher Ozenfant. Nous sommes à l’imprimerie submergés de travail. Il m’était impossible de trouver une minute pour fixer notre rendez-vous ». Grâce à Jean-Paul Crespelle, dans son livre, Terechkovitch3, nous savons que Romoff gagnait 320 francs hebdomadaire comme chef-typographe, somme qu’il amputait de 20 francs pour les verser au peintre.

Vers 1928, Romoff quitte Paris pour l’U.R.S.S. avec l’intention de s’immerger dans l’actualité culturelle de son pays natal. Son séjour devait lui fournir l’occasion de développer de nouveaux projets et de revenir à Paris avec une matière littéraire et artistique mal connue en France. Une lettre datée de Moscou, du 31 janvier 1929 adressée à Volf Chalit, témoigne de l’enthousiasme de Romoff qui, observant et notant sans relâche, prévoyait, de préparer dès son départ de Paris des publications, peut-être des mémoires, dans tous les cas, des témoignages, concernant son voyage à l’Est qui auraient été imprimés par Union. Il prévient Chalit qu’il lui communiquera à son retour tous ces écrits. Mais, empêché par son visa de retour qui ne lui sera jamais délivré, il ne pourra donner suite à ce projet.

 « A la fin de 1930, Iliazd entreprit de collecter des fonds auprès de tous les anciens amis de Romoff afin de faire soigner le fils de celui-ci, Boris, atteint par la tuberculose et soigné à Davos »4. Quelques années auparavant, le 21 novembre 1933, Dimitri Snégaroff écrit une lettre à Boris dans laquelle il évoque les locaux de l’Imprimerie Union ainsi que ce qu’il nomme "L’affaire de Zürich". En U.R.S.S., Serge Romoff travaille quelques temps pour la Literatournaïa gazeta. Puis il est arrêté, torturé et emprisonné en prison pendant deux ans, avant, d’être très certainement fusillé.

 Texte écrit en collaboration avec Génia et Sylvie Courtade (fille et petite-fille de Serge Romoff)



 
  1. A la suite des deux premières expositions montées par Romoff et Clergé, se constitue une compagnie ambulante de peintres et de sculpteurs qui avait pour but d’organiser à Paris et en Province des expositions similaires à celles organisées au Parnasse. Les rapports qu’entretient par la suite Romoff avec cette guilde nous sont inconnus quoique celle-ci ait existé jusqu’après la seconde guerre mondiale. Mais il est par contre avéré, et cela malgré le récit qu’il en est fait dans le catalogue d’exposition Auguste Clergé Auguste Clergé, 1891-1963, rétrospective à Trévarez, Juillet-août 1991., que c’est bien Romoff et Clergé qui projettent, de concert, et non Clergé tout seul, ces deux expositions ; de même qu’ils fondent ensemble la « Compagnie ambulante de peintres et sculpteurs » suite à la première exposition au Parnasse.    

  2. Ilia Zdanévitch. L’homme et l’œuvre. Thèse de doctorat ès Lettres de Régis Gayraud. 1984 

  3. Terechkovitch, Jean-Paul Crespelle, Genève, P. Cailler. 1958   

  4. Régis Gayraud, Carnet de l’Iliazd-Club n°1, p. 62. 1990.