« Kooperativnaïa typografia soïouz »
Le premier document attestant l’existence de l’Imprimerie Union est le n°1 de la revue russe Le Drapeau Prolétarien 1. La marque de l’imprimeur est inscrite en cyrillique et se traduit par la « Kooperativnaïa typografia soïouz », soit « La Coopérative typographique Union », dont l’adresse est mentionnée à la suite, 3, rue, Beaunier. C’est, semble-t-il, la première adresse de ce qui allait devenir l’Imprimerie Union environ deux ans plus tard, fondée en 1909 si l’on s’en réfère au Certificat de travail délivré à Chalit en 1944. Le numéro double 2-3 de Mai-juin 1910, ainsi que le n°4 de la revue russe La Cause Commune 2 du 15 août de la même année sont imprimés tous les deux à cette même adresse.
Comme on peut le voir sur une publicité de la revue L’Avenir, l’imprimerie s’occupe de l’impression de « gazettes, de brochures, catalogues, affiches, prospectus, circulaires, et travaux de comptabilité ». Union y reste moins d’un an puisque le premier numéro de la revue russe Le Journal Ouvrier3 du 12 novembre 1910 mentionne une nouvelle adresse, le 50, Boulevard Arago. Le gérant de cette revue est le même que celui du Drapeau Prolétarien, Charles Rappoport, proche de Lénine à cette époque, avec qui il prévoyait l’ouverture d’une école de formation des révolutionnaires russes à Longjumeau. Du 50, Boulevard Arago sort des presses de la Coopérative typographique Union, la revue russe L’Avenir4 à partir du n° 11 daté du 31 décembre 1911 jusqu’au n°42 du 1er décembre 1912. Le n°43 du 4 mai 1913 est quant à lui tiré au 46, Bd St-Jacques, nouvelle adresse d’Union.
Concernant la période avant le déménagement de l’imprimerie en 1913 au 46, Bd Saint-Jacques, les Archives de la Police5 contiennent diverses informations établies rétrospectivement. L’une, intéressante quoique imprécise suppose qu’Union « ne serait qu’une succursale de l’imprimerie russe " La cause commune ", localisée au 50, bd Saint Jacques et dirigée par Lazare Rodstein dit " Valerian ", secrétaire de Vladimir Bourtzeff », le leader socialiste révolutionnaire russe qui, apprend-on, vivait en janvier 1910 à cette même adresse. La seconde information est, elle aussi, intéressante en ce qu’elle concerne le personnel de l’imprimerie qui employait alors cinq ou six ouvriers, puisque selon ce même rapport de police, Union aurait seulement travaillé à la composition des deux journaux L’Avenir et Le messager russe, dont l’impression aurait été effectué par l’Imprimerie pour le Commerce et l’Industrie, fonctionnant sous la raison sociale "Leduc et Cie". Or ces deux journaux portent bien l’estampille Union. Le nom de Kooperativnaïa tipografia soïouz est encore présent sur le livre de A. Mouchin édité en 1914 chez Jacques Povolozky.
Les Archives de la Police apportent quelques éléments relatifs à des bruits circulant dans les milieux russes parisiens à partir de mai 1912 laissant entendre que l’imprimerie est à la veille d’une fermeture. La direction espère « éviter une liquidation judiciaire en trouvant un acquéreur à l’amiable ou un commanditaire » . Le rapport de police n’apporte pas de précisions quant à la conclusion de cette affaire, mais nous savons grâce aux Archives municipales de Paris qu’Union s’installe quelques mois plus tard, le 1er avril 1913, au 46, bd St Jacques. Le droit de bail est consenti par Mr Henri Ribot pour une durée de douze années. D’un loyer annuel de 1800 francs, les locaux comprennent un magasin, deux pièces, une cave. Chalit et Snégaroff apportent « huit machines à imprimer, deux fondeuses et quatre claviers, l’agencement, l’installation et différents caractères et matériel de reliure ». La raison sociale de la société est « Imprimerie Union Chalit et Snégaroff6.
Dans une interview donnée à la revue Caractère (n°63 de juin 1981), Louis Barnier évoque l’origine de l’imprimerie et son changement de statut : « Fidèle à une tradition du mouvement ouvrier, l’Union est alors une coopérative, avec une dizaine de compagnons, tous russes mais pas forcément typographes … D’où rapidement des tensions entre les uns qui privilégient le militantisme et les autres, l’entreprise. Au début de la guerre de 14-18, l’Union prend une forme plus « traditionnelle » de société avec un patron et des employés ».
Le politique russe le plus proche de l’imprimerie durant les dix premières années de son existence est sans doute Bourtzeff, socialiste révolutionnaire, personnage-clé de l’émigration russe à Paris. Il est notamment connu pour « démasquer les agents de la police infiltrés dans les partis révolutionnaires »7. Son principal journal La Cause Commune paraît d’abord à Paris d’octobre 1909 à août 1910, dont Union imprime le quatrième et dernier numéro, puis dans un deuxième temps à Pétrograd en 1917. De retour de Russie à Paris le 3 août 1918, Bourtzeff très attendu par les cercles politiques émigrés russes, prévoie initialement la reprise de L’Avenir mais se décide pour celle de La Cause Commune8. De sorte que l’organe ouvertement anti-bolchévique proposant un rassemblement général face au régime russe, reparaît entre le 15 septembre 1918 et le 10 avril 1930, Union ne s’occupant pour sa part que de l’impression jusqu’au n°50 du 2 juillet 1919.
En 1919, elle se charge enfin de la brochure de Bourtzeff, Lettre ouverte d’un socialiste russe aux Bolchéviks9, véritable réquisitoire contre le pouvoir en Russie, qui retint la vive attention du Bureau de propagande de la Presse française et de La Ligue patriotique. Tous les deux s’occupent en effet de sa publication tiré à six mille exemplaires environ.
A son retour à Paris, Bourtzeff fonde aussi l’agence télégraphique russe Union, - cousine éloignée de l’imprimerie ?, nous n’avons pu établir leur éventuel lien -, agence qui se donnait pour tâche de fournir des informations à la presse sur la Russie, portant principalement sur les questions économiques et financières. Cette entreprise commanditée par des financiers de Paris, faisait également campagne contre les Maximalistes. Le bulletin de cette agence devait paraître deux fois par semaine, sans savoir si l'impression était assurée par l'Imprimerie Union.
D’autres journaux étaient imprimés par l’Imprimerie Union tel Naché Echo, tenu jusqu’en août 1915 par Sophie Platonoff puis par Mme Lissakevitch et géré par Mr Hambourg10. Ou encore Rouss (La Russie), organe créé pour combattre les défaitistes, et dont la rédaction et l’administration se trouvaient dans les locaux d’Union11. La feuille était publiée par le Comité russe anti-défaitiste qui n’aurait été qu’une sorte d’agence officieuse de la Mission Militaire russe et du Comte Alexei Alexeievitch Ignatieff12. Le Comte Ignatieff patronne par ailleurs au même moment le journal Roussky Soldat Grajdanine vo frantsi (Le Soldat citoyen russe en France)13 auquel Chalit contribuait, organe du Comité central des troupes russes en France avec, selon toujours les mêmes sources, « des fonds fournis par le gouvernement provisoire de Russie qui continue à en supporter tous les frais »14. Les bureaux de rédaction et d’administration se situaient également dans les locaux d’Union, tout comme les éditions du Soldat citoyen russe en France qui ont fait paraître plusieurs ouvrages. Notons aussi que Serge Romoff travaille jusqu’au30 mars 1918 au Bureau d’information militaire russe dirigé par le Comte.
Après l’effondrement du gouvernement provisoire de Kerenski, le journal semble connaître quelques différends auprès de la censure qui l’incitèrent à solliciter en octobre 1918 l’intervention de Bourtzeff. Celui-ci acceptait d’assumer toutes les responsabilités qu’entraînait la publication du journal, à la condition que ses rédacteurs observent une ligne de conduite identique à celle de La Cause Commune. Et le rapport de police de conclure, « cette décision de Bourtzeff semble devoir mettre un terme à l’attitude équivoque que Le Soldat citoyen russe en France observait depuis quelques temps »15
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daté de février 1910 Le Drapeau Prolétarien (en russe), organe des ouvriers russes, n°1 de février 1910, 10 p., n°2-3 de mai-juin 1910, 12 p., (fin de la collection), 23x31 cm. Gérant Charles Rappoport, 39, Bd de Port-Royal, Kooperativanaïa typografia soïouz.
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Obschee Dielo (La Cause Commune), n°4 du 15 août 1910 (fin de la première série). Gérant M. Hambourg, Kooperativnaïa typografia soïouz. 22x27 cm, 16 p.
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Le Journal Ouvrier, n°1 du 12 novembre 1910. Gérant Charles Rappoport
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Boudouschee, (L’Avenir), direction politique Wladimir Bourtzeff. Imprimé par l’Imprimerie Union du n°11 du 31 décembre 1911 au n°48 du 4 novembre 1914 (fin de la collection), 44x59 cm. Rédaction et Administration 50, Bd Arago jusqu’au n°45, et 17, rue Cujas pour les trois derniers numéros.
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Heller, Michel, Histoire de la Russie et de son empire, Plon, Paris, 1997, p. 835
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La Cause Commune (en français et russe), 2ème série. Imprimé par Union du n°24 du 17 septembre 1918 au n°50 du 2 juillet 1919, (fin de la collection en 1930).
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Bourtzeff, Vladimir L’vovitch, Lettre ouverte d’un socialiste russe aux Bolchéviks (Soyez maudits, Bolchéviks !), Imprimerie Union. 21,5 x13 cm, 16 p.1919
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Naché Echo (Notre Echo), n°1 du 22 avril 1915 au n°6 du 6 août 1915, 8 p., (collection complète), 16x25 cm. Rédaction et Administration, 108, Bd Jourdan Mme S.Platonoff, gérant Etiennes Deshayes, 42, rue de Maistre
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Rouss(La Russie), journal anti-défaitiste, n°1 du 1er décembre 1917 au n°10 du 17 février 1918 (fin de la collection). Rédaction et administration au 46, Bd St-Jacques jusqu’au n°7, Administrateur Wladimir Lebedef, Rédacteur en chef F. Asnaourow.
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Il était l’un des quatre fils du comte Paul Ignatieff, dernier ministre de l'Éducation du tsar Nicolas II.
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Roussky Soldat Grajdamine vo frantsi, organe du Comité central des troupes russes en France, n°1 du 25 juillet 1917 au n°465 du 28 avril 1920. 28x36,5 cm. Rédaction et administration 46, Bd St-Jacques.