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Imprimerie Union

Iliazd

Une quinzaine de jours environ après son arrivée à Paris en novembre 1921, Iliazd compose sur les presses de l’Imprimerie Union Ledentu Le Phare qui sera publié en 1923 et qui constitue le cinquième et dernier opus du cycle Le Trait de l’âne (Aslaablitchia) commencé à Tiflis quelques années auparavant. A partir de cette date, l’intégralité de l’œuvre d’Iliazd sera réalisée chez Union jusqu’au Courtisan grotesque le tout dernier, datant de 1974, soit un an avant sa mort.

 La Soirée du Cœur à Barbe de juillet 1923 signifie pour Iliazd l’échec des espoirs qu’il avait placés chez les Dada parisiens ; désormais le Géorgien participe très activement à  l’association de poètes et artistes russes Tchérez au sein de laquelle est créée en 1922  la revue Oudar dirigée par Serge Romoff. Il s’occupe alors de l’organisation de conférences et de réunions poétiques pour lesquelles il conçoit au 13, rue Méchain un ensemble très varié de tracts, papillons et autres affiches. Il s’investit de façon identique dans les sept principales soirées de L’Union des artistes russes qui se déroulent à la salle Bullier jusqu’à la fin des années vingt, comme celles par exemple du 23 février 1923 le Grand Bal Transmental, le Bal Banal le 14 mars 1924, et le bal de la Grande Ourse donné le 8 mai 1925.

 Puis, dans le même temps qu’il travaille à l’usine Chanel d’Asnières, Iliazd édite en 1930 Le ravissement. Après Afat en 1940, Rahel en 1941 et Pismo en 1948, son activité éditoriale est lancée à la fin des années quarante. C’est à cette époque qu’il développe pleinement ses talents d’éditeur, de typographe et d’imprimeur, qui aboutissent en 1949 au magistral recueil Poésie de mots inconnus qui contient des gravures de Arp, Taueber-Arp, Bryen, Survage, Matisse. Il faut savoir que concernant les grands livres d’Iliazd - à de rares exceptions près 1  -  seul le travail typographique était effectué chez Union, les gravures étant le plus couramment tirées à l’atelier Lacourière. Jean Leymarie remarque à ce propos : « L’atelier le plus fameux de taille-douce à Paris est celui que fonda Roger Lacourière sur les pentes de Montmartre et que continuent sa femme et Jacques Frélaut. Iliazd y trouva, conduit dès ses débuts par Picasso, le même accueil fraternel auprès des artisans et des compagnons qu’à son Imprimerie Union, et son œuvre n’aurait sans doute pu s’accomplir pleinement sans ces deux lieux privilégiés » 2.

 En 1952, Iliazd « met en lumière » selon le bon mot de Louis Barnier, La Maigre ; en 1953, le Traité du Balet de Boissière illustré de gravures à l’eau-forte par Marie-Laure de Noailles dont les Archives de Louis Barnier possèdent plusieurs épreuves; en 1956, Chevaux de minuit de Roch Grey ; en 1956, Récit du Nord et régions froides de René Bordier ; en 1958, Sillage intangible de Lucien Scheler ; en 1959 Le frère mendiant (gravures de Picasso) ; en 1960, Ajournement d’ André du Bouchet (gravures de Jacques Villon) ; en 1961, Poèmes et bois de Raoul Hausmann ; la même année Sentences sans paroles, écrit par Iliazd et accompagnées des gravures de Braque et de celles de Giacometti ; en 1962, Les Douze portraits du célèbres Orbandale ; en 1964, Maximiliana ou l’exercice illégal de l’astronomie (Ecritures et eaux-fortes de Max Ernst) ; la même année, Un soupçon de Paul Eluard (pointes-sèches de Guino) ; en 1968, Rogélio Lacourière pêcheur de cuivres (illustrations de Beaudin, Bryen, Derain, Dunoyer de Seconzac, Ernst, Giacometti, Magnelli, Marcoussis, Masson, Miro, Pascin, Picasso, Survage) ; en 1971, Boustrophédon au miroir (eaux-fortes de Georges Ribemont-Dessaigne), en 1972, Pirosmanachvili 1914 (pointe-sèche Picasso) ; et le dernier en 1974, Le courtisan grotesque d’Adrian de Monluc (gravures Joan Miro).

 Iliazd publie aussi en parallèle quatre autres imprimés : le premier est la réédition en 1949 de la préface écrite pour Ledentu le phare par Georges Ribemont-Dessaigne. Le deuxième est l’ouvrage nommé Argentina paru en mars 1956 et édité à compte d’auteur, Iliazd intervenant en qualité de typographe. Le troisième est le livret L’Art de voir de Guillaume Tempel publié à la faveur de l’exposition de Maximiliana à la Galerie du Point Cardinal au mois de mai 1964. La dernière de ces publications est un fascicule « imprimé en l’honneur du XIIIe congrés international des études byzantines à Oxford » en 1966, L’Itinéraire géorgien de Ruy Gonzales de Clavijo et les églises aux confins de l’Atabégat.

 L’arrivée de Louis Barnier au début des années cinquante dans l’entreprise coïncide avec les débuts de l’activité éditoriale d’Iliazd. Il fait donc son apprentissage d’imprimeur en même temps qu’Iliazd travaille à ses ouvrages, et la proximité des deux hommes se prolongera tout au long de leur carrière respective. Louis Barnier confie certains détails dans un article paru dans le n°3 des Carnets de L’Iliazd-Club édité en 1994 : « Iliazd avait amené Hélène 3 à l’imprimerie, m’avait-il dit, pour me la présenter mais je pense – et j’incline à croire que cette deuxième raison l’emportait sur la première, d’autant qu’il ne la formulait pas – afin de lui faire connaître le petit local que je lui avais aménagé et, où composteur en main, il passait le plus clair de ses journées à travailler aux chefs-d’œuvre que l’on sait. Car Iliazd, qui dans les premiers temps de notre amitié, aimait travailler dans l’atelier de composition, au milieu même de mon équipe de typographes, à un rang qui lui était réservé, m’avait demandé – soit que, l’âge venant, il souhaitât une plus grande tranquillité à l’abri des plaisanteries et des chants d’atelier, qui autrefois ne le gênaient pas, puisqu’il y participait volontiers, soit que sa notoriété croissant, il désirât dans une imprimerie que je voulais ouverte à tous, poètes, peintres, éditeurs et qui l’était, protéger ses essais et ses travaux et les tenir à l’abri des regards indiscrets – de lui aménager un local qui lui serait réservé et qu’il pourrait fermer à clef : j’avais accédé d’autant plus volontiers à sa demande que la disposition de l’imprimerie s’y prêtait ».

 Louis Barnier vouera une grande admiration à Iliazd et l’évoque systématiquement dans ses quelques interventions publiques : « Je vais citer le cas d’un homme qui s’appelle Iliazd et qui est pour moi, le plus grand "faiseur" de livres que nous ayons eu depuis Vollard. Il a fait les plus admirables qui existent et vous ne les verrez sans doute pas parce qu’ils se vendent immédiatement» 4. C’est par ailleurs à Louis Barnier que Philippe Schuwer s’adresse pour l’article d’Iliazd devant figurer dans le deuxième tome du Dictionnaire Encyclopédique du livre de 2005. L’attachement de l’imprimeur à l’artiste est loin d’être exagéré car les deux entretenaient une réelle amitié. De plus, pour Louis Barnier qui défend farouchement la création du livre d’art et milite hardiment pour la reconnaissance de ses protagonistes, Iliazd représente un idéal bibliophile et humain réel. Et au vue de l’histoire commune d’Iliazd et de l’Imprimerie Union, le Géorgien qui est devenu le résident officiel de l’imprimerie, incarne toute l’effervescence que Louis Barnier tente de préserver et de promouvoir autour de la typographie. Professionnellement, l’imprimeur s’exprime en toute humilité et simplicité : « Il est éditeur en l’occurrence et là je n’étais qu’un instrument, compétent peut-être, mais amical en tout cas de sa création » 5.

 L’un des textes de référence en matière de typographie sur Iliazd, reste celui que Louis Barnier écrit en août 1974 pour le numéro d’hommage consacré à Iliazd par le Bulletin du Bibliophile. Ce même texte sera repris dans le catalogue de l’exposition du Mnam de 1978 et, dans une version réduite, dans le catalogue de vente de la bibliothèque Lucie et Louis Barnier en 2005. En compagnon attentif, l’imprimeur y déchiffre certains codes du langage d’Iliazd : «  Iliazd démontre, et de la façon la plus magistrale, qu’un caractère, à la limite, n’a aucune importance, qu’il ne vaut que par l’usage que l’on en fait. Avec une indifférence de bon ton, il choisit le caractère le plus banal pour ne pas dire le plus laid du catalogue français, le Gill et sous sa forme la plus neutre quoique la plus architecturée, la capitale, et il l’utilisera dans tous ses livres, sauf dans ses livres en langue russe où il doit se plier aux possibilités du catalogue de l’Imprimerie Union ».

 Dans l’émission enregistrée par France Culture, Louis Barnier évoque par ailleurs le rapport d’Iliazd au papier : « Ce n’est pas une peau, c’est un papier de Madagascar. C’est ce qu’on appelle une macuse, c’est-à-dire un papier qui était posé sur des papiers de la bibliophilie. Mais ces papiers de bibliophilies étaient d’une telle beauté qu’Iliazd a recueilli, ces papiers d’emballage, qui sont devenus l’emballage de son livre ». Louis Barnier loue également la sagesse d’Iliazd  pour avoir su acquérir quant il était encore temps, « le plus beau papier Japon qu’on peut trouver à Paris, celui que l’éditeur Pelletan a acquis en 1906 de Bing exportateur des articles de Chine et du Japon », papier sauvé de l’inondation de 1910.

 Le plus somptueux et fidèle hommage de Louis Barnier donné à son maître d’arme typographe, l’imprimeur le livre en 1977 avec la publication du Crève-cœur du vieux soldat de Claude Garnier. Cette réédition d’un poème clandestin paru en 1623 6, devait initialement sortir aux éditions de Degré 41 avec des gravures de Picasso que ce dernier ne réalisa pas : « Je me suis amusé en ce qui me concerne à reconstruire le livre comme Iliazd l’aurait fait dans une structure très architecturée en remplaçant les illustrations que Picasso n’avait jamais gravées, ne gravera jamais, par des pages blanches ». Il se manifeste dans cet ouvrage à la fois le respect du projet initial d’Iliazd, comme le respect pour son choix de l’illustrateur, Picasso, dont il ne cherche pas à remplacer les gravures absentes. Seule une pointe-sèche originale de Cardenas, artiste exposé à la Galerie Stadler, vient remplir le vide pictural du livre. Cette publication, tirée à 333 exemplaires, est aussi l’occasion pour Louis Barnier de faire œuvre d’éditeur, et cela, en dehors du cadre et du rythme annuel de parution de ses plaquettes de vœux. Les formules plastiques et graphiques, comme le tirage, sont similaires.

Voir aussi :

90 minutes / French, Russian, Zaoum / 2021



  1. Les gravures sur bois et un linoélum pour Poésie de mots inconnus, ainsi que les gravures sur bois de Rahel et celles de Poèmes et bois, au final les deux seuls livres entièrement  réalisés chez Union.   

  2. Catalogue de l’exposition La rencontre Iliazd-Picasso, Hommage à Iliazd, Musée d’art moderne de la ville de Paris, 1976, article de Jean Leymarie.    

  3. Hélène Douard de la Villartay se marie avec Iliazd en 1968, elle décède en 1992.    

  4. Reliure, Brochure, Dorure, n°41, mai 1973.    

  5. Interview France Culture.    

  6. « Un seul exemplaire est parvenu dans le recueil de pièces provenant de la bibliothèque du Maréchal de Richelieu. J’ai eu la chance d’acheter ce recueil en 1954. Quinze ans de recherches n’ont pas permis d’en trouver un autre ni dans les grandes bibliothèques ni mentionné dans les bibliographies ou dans les histoires littéraires », Lettre d’Iliazd du 24 août 1970 adressée à Picasso, in catalogue de l’exposition La rencontre Iliazd- Picasso, MAM de la Ville de Paris.